Initiateur d’un projet qui a duré dix ans avec les élèves de sa classe à Ravigny en Mayenne, Pierre Transon se dit « terriblement déçu et en colère car Le chemin des quatre saisons des cinq sens qui reliait Ravigny à Champfrémont a perdu sa vocation pédagogique et environnementale. La forêt de Multonne qui pourtant possède une grande partie de sa surface en Natura 2000 est en train de se transformer en monoculture de pin Douglas… » nous dit-il. Les talus d’une partie du chemin ont totalement été rasés et ont perdu toute leur biodiversité. Témoignage.
Le chemin des quatre saisons des cinq sens a subi la malforestation
Par Pierre Transon et Daniel Le Jan*
Les 10 panneaux créés par les enfants de l’école de Bou.Cha.Ra avaient pour objectif de sensibiliser les autres écoles ou les habitants à la diversité du vivant rencontré tout le long du parcours en utilisant ses cinq sens. Ce projet a été labellisé « sentier pédagogique » et a reçu de nombreuses subventions de la communauté de communes du Mont des Avaloirs, du Département, du Parc Normandie Maine… En quelques mois, le chemin a perdu son âme, sa vocation. La forêt de Multonne qui d’après le directeur de la société Bois énergie Maine atlantique (BEMA) possède des taillis trop “pauvres” pour être exploités, doit être transformée en bois énergie et être remplacée par une monoculture de pins Douglas espèce “noble” de plus grande “valeur”, déclarait-il à Ouest France dans un article paru le 22 septembre 2017.
Pauvreté des taillis mais richesse de la biodiversité. Bouleaux, chênes, hêtres, merisiers sont donc considérés comme des essences de moindre valeur… valeur marchande bien sûr. Mais dans cette évaluation, réfléchissons au mot pauvreté et opposons-lui le mot richesse. Pauvreté en quoi ? En valeur pécuniaire mais richesse en revanche en valeur biologique.
Photo ci-dessus : une animation au vivant en forêt de Multonne sur Le chemin des quatre saisons des cinq sens avec des écoliers – Photo Daniel Le Jan
Écologiquement, la forêt de Multonne est très riche en biodiversité (insectes, amphibiens, oiseaux, mammifères, champignons, fougères, etc. ) grâce à ses différentes espèces d’arbres qui y poussent et qui abritent toute une faune et une flore adaptées. Elle va devenir alors très pauvre après le passage des engins de la société BEMA puisqu’elle n’aura plus qu’une seule espèce d’arbres, le pin Douglas qui lui abritera peu de diversité faunistique et floristique. Richesse en euros, car le marché du bois en énergie est porteur, mais pauvreté en diversité du vivant.
L’article incite donc les propriétaires de taillis (sans valeur???) à les raser pour planter une seule espèce de (plus grande valeur marchande???) dans toute la région des Pays de la Loire, tout cela avec l’aide de l’ADEME, l’Agence de la transition écologique, anciennement Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) français » qui, dans le prolongement du Grenelle de l’environnement en 2007, a constitué trois dossiers d’Appels à manifestation d’intérêts. Et ce, afin de favoriser le développement durable de la filière bois énergie en finançant les reboisements sur la base du seul segment bois énergie/puits de carbone en omettant les autres aspects fondamentaux indissociables de tout écosystème, soit la biodiversité, l’eau et les sols.
Le chemin des quatre saisons des cinq sens, avant et après – Photos Daniel .Le Jan
L’ADEME a ainsi ouvert officiellement la porte à des sociétés telles que la BEMA qui ont investi ce marché d’aubaine pour exercer leur art du « démontage » (sic !) des arbres et en « apportant désormais une aide financière au propriétaire pour réaliser un reboisement suite à l’exploitation du taillis afin de convertir ces taillis pauvres en plantation d’arbres d’avenir répondant à la demande des scieries. Les plants capteront le carbone naturellement présent dans l’atmosphère lors de leurs croissances et le stockeront durablement dans du bois de construction. A terme, la transformation des arbres en bois d’œuvre produira également du bois énergie », comme on peut le lire sur le site officiel BEMA
Où la biodiversité est-elle alors prise en compte?
Adieu donc à toute forme de vie sauvage qu’abritaient ces forêts (triton, pic noir, chauve-souris, champignons, fougères…).
Par contre, un article de Ouest France du 10 novembre 2017, en totale contradiction avec le précédent article cité plus haut, présente une autre gestion forestière en se référant à un ancien garde forestier Peter Wohlleben (Auteur du bestseller La Vie secrète des arbres) qui parle des arbres comme créatures sociales. On sait depuis 1960 que les arbres communiquent entre eux par les racines grâce au mycélium (véritable réseau social des bois qui prévient des dangers, comme les parasites). Il se bat dans sa région de Rhénanie, en Allemagne, pour reconstituer une forêt primaire sans chasseurs ni bulldozers. Il est d’ailleurs cité en exemple à la conférence climat des Nations Unies à Bonn. Et la programmation récente du Génie des arbres à la télé française n’a pu que renforcer ce point du vue.
Mieux vaut donc vivre à Hummel petit village de la région Rhénanie Palatinat qui conserve sa forêt et essaie de reconstituer une forêt primaire que vivre à Champfrémont qui rase sa forêt d’arbres de moindre valeur pour la transformer en monoculture de pins Douglas…
Pourtant un sentier qui longe cette forêt, intitulé Le chemin des quatre saisons des cinq sens créé par la Sentine, le Groupe Ornithologique des Avaloirs (GOA), l’école BOU.CHA.RA., le Parc Naturel Régional Normandie Maine, inauguré en 2005, a été reconnu comme véritable outil pédagogique, une action exemplaire d’école sans mur, par la Communauté de Communes du Mont des Avaloirs, la Direction académique, l’Office de coopération à l’Ecole, le Conseil départemental, la Fédération Française de la Randonnée pédestre. Plus de dix ans de travaux avec les élèves de l’école, le président de la Sentine, le G.O.A., le Parc Normandie Maine, pour sensibiliser les habitants du secteur et les autres écoles, ont été amputés d’une partie de sa valeur pédagogique et écologique en quelques mois.
Ce chemin a perdu son âme. Nous sommes tristes.
*Pierre Transon est ancien enseignant de Bou.Cha.Ra, vice-président du Groupe Ornithologique des Avaloirs,
Daniel Le Jan, ancien enseignant est président de la Sentine,
Tous deux initiateurs – créateurs du sentier des Quatre saisons des cinq sens : voir le diaporama « le chemin des Quatre Saisons des Cinq Sens »